[Focus] Insecte stérile : une technique contre les moustiques vecteurs

Publié le 14 février 2025, par Nicolas Rousseau
La technique de l’insecte stérile constitue une alternative de lutte contre la prolifération des moustiques Aedes. Directeur de recherche en écologie et contrôle des insectes vecteurs au Cirad, Jérémy Bouyer en coordonne le déploiement à la Réunion.
« On dispose de peu d’outils vraiment efficaces pour contrer la prolifération des Aedes en Europe, accélérée par le réchauffement climatique. Les méthodes traditionnelles de lutte contre ces espèces fonctionnent de plus en plus mal », constate Jérémy Bouyer, directeur de recherche en écologie et contrôle des insectes vecteurs au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). D’où les recherches autour du déploiement de la technique de l’insecte stérile (TIS), qui vise principalement les Aedes – Aedes Albopictus et Aedes Aegypti, de plus en plus susceptibles de transmettre les arbovirus, accroissant le risque d’apparition d’épidémies. Cette technologie de contrôle génétique constitue en effet une alternative viable aux insecticides chimiques. Elle est basée sur le lâcher de mâles stériles irradiés qui, en s’accouplant avec les femelles sauvages, les stérilisent. Spécialiste de la lutte génétique contre les vecteurs, Jérémy Bouyer en a coordonné le développement pendant 7 ans à l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique.
Mâles stériles
L’année 2024 constitue une année record de transmission de la dengue à l’échelle mondiale, avec plus de 7,6 millions de cas reportés à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La France métropolitaine n’est pas épargnée, avec un record de 2 166 cas importés, correspondant à des personnes infectées hors de l’Hexagone, notamment dans les départements d’Outre-Mer. Dengue, donc, mais aussi paludisme, chikungunya, fièvre jaune et Zika : ces maladies transmises par les moustiques constituent un défi de santé publique majeur. Selon l’OMS, elles représentent 17% de toutes les maladies infectieuses et entraînent plus d’un million de décès par an. Notamment transmises par des moustiques (anophèles pour le paludisme, Aedes la dengue, le chikungunya, la fièvre jaune et Zika), elles sont particulièrement préoccupantes. Face à ces menaces sanitaires, la TIS pourraient permettre de gérer plus efficacement et écologiquement les populations de moustiques vecteurs.
Mutations génétiques
Une fois lâchés sur une zone infestée, « les mâles irradiés concourent à diminuer les populations de moustiques. En s’accouplant avec les femelles sauvages, ils leur transmettent du sperme contenant des spermatozoïdes porteurs de mutations génétiques aléatoires, dont certaines létales. Ainsi, les œufs n’éclosent pas ou alors les larves meurent très jeunes et ne produisent pas d’adultes. » Si les lâchers de mâles stériles sont répétés suffisamment longtemps, la population cible est réduite, voire éliminée. Un robot entre en jeu pour différencier les mâles des femelles. Le sexeur traditionnel consiste en deux vitres entre lesquelles passent les moustiques. « Grâce à un léger angle entre les vitres, les mâles descendent plus bas que les femelles. En jouant sur un tiroir situé en bas du sexeur, on récupère d’abord les mâles, puis les femelles. » Un robot pratique dorénavant cette sélection automatiquement. Il trie les pupes (nymphes) par taille, les mâles étant plus petits que les femelles, grâce à deux vitres séparées par un angle. « Ce robot limite les frictions entre les vitres de séparation. Les mâles ainsi produits sont de plus grande qualité », souligne Jérémy Bouyer.
Alternative boostée
Le directeur de recherches coordonne un programme de lutte contre les Aedes à La Réunion. Des essais ont été menés à petite échelle, sur des zones comprises entre 10 et 30 ha, apportant des résultats probants. Un essai à plus grande échelle a été engagé en janvier 2025, sur une zone couvrant quelque 200 ha. « Celui-ci recourt à la technique de l’insecte stérile boostée. Les mâles irradiés sont couverts d’un produit biocide. Quand les mâles entrent en contact avec les femelles ou les gîtes larvaires, ils leur transmettent le biocide. L’efficacité de la technique en est décuplée. On l’utilise notamment au début d’un programme de lutte afin de supprimer les populations de plus de 90%. La TIS classique est déployée en relais « L’objectif est de prouver que l’on peut bloquer la transmission de la dengue grâce à cette technique. Et vérifier aussi qu’il n’y a pas d’impact environnemental. »